Juliana Léveillé-Trudel

JULIANA LÉVEILLÉ-TRUDEL

Photo : Alain Léveillé

RÉSIDENCE AUTOMNALE

Diplômée en 2008 du programme d’Animation et recherches culturelles de l’UQÀM, Juliana Léveillé-Trudel a mené de nombreux projets dans le domaine de l’éducation, de la médiation culturelle et de la littérature.

En 2011, elle a mis sur pied un camp de jour pour les enfants de la communauté inuite de Salluit, au Nunavik, dont elle s’est occupée pendant quatre ans. Cette expérience lui a inspiré l’écriture de son premier roman, Nirliit, paru à la Peuplade à l’automne 2015. Salué par la critique et le public, le livre a été publié en anglais chez Vehicule Press en 2018 et traduit en islandais en 2019 ainsi qu’en espagnol en 2020. Des traductions en danois et en basque sont à venir en 2021.

En 2017, Juliana a créé un spectacle littéraire tiré de Nirliit qui a été présenté un peu partout au Québec, notamment à la Maison de la littérature de Québec et au Festival international de littérature de Montréal. Nirliit est distribué en Europe francophone depuis l’automne 2018. Depuis sa parution, Juliana a pris part à des événements littéraires à Cuba, en Finlande, en France, en Belgique, en Suisse et au Mexique.


Juliana est également auteure jeunesse. Elle a co-écrit l’album Comment attraper un ours qui aime lire, paru chez Chouette en 2018, et réalisé de nombreuses activités de médiation en milieu scolaire. Son deuxième titre destiné aux enfants, Voyage de nuit à la bibli, sera publié à l’automne 2021. Également traductrice, elle a signé la traduction de Contre le colonialisme dopé aux stéroïdes, du militant inuit Zebedee Nungak, publié chez Boréal en 2018.

D’abord intéressée par la littérature orale, Juliana Léveillé-Trudel pratique l’écriture dramatique et a fondé le Théâtre de brousse en 2011. Elle y a joué et mis en scène deux de ses textes, soit Partis à l’ouest et La contestation expliquée aux enfants, finaliste pour le prix du texte francophone le plus prometteur de l’édition 2013 du Festival Fringe. En 2018, le Théâtre de brousse est devenu un OBNL et a été renommé Productions de brousse. Son mandat est de créer des pièces de théâtre et des spectacles littéraires démontrant une attention particulière pour la langue. Les Productions de brousse diffusent les oeuvres produites, notamment hors des lieux de représentation traditionnels et organisent des rencontres avec le public par le biais d’activités de médiation culturelle.

Juliana occupe le poste de directrice artistique et générale au sein des Productions de brousse. Elle y dirige notamment Enfabulation, un spectacle de storytelling qui invite des gens, professionnels ou non, à raconter une histoire vraie qu’ils ont eux-mêmes vécue, sans note, ni costume, ni accessoire. Le concept remporte un franc succès et en est à sa quatrième saison.


« Je travaille à l’écriture d’une pièce de théâtre qui porte un regard critique sur la gestion du patrimoine architectural québécois et sur la façon de concevoir le développement urbain dans l’ensemble de la province. Dans cette optique, je mène une enquête sur la construction du nouvel hôtel de ville de Windsor, dans les Cantons de l’Est, en 2014, afin de puiser dans le réel pour nourrir la création de cette oeuvre de fiction. J’ai grandi en Estrie dans le petit village de Kingsbury, situé à une quinzaine de kilomètres de Windsor. Je connais bien cette ville, y ayant terminé mes études secondaires (les niveaux 4 et 5 n’étaient pas offerts à notre école de village) et ayant participé à de nombreuses activités là-bas. J’ai des amis qui en sont originaires et j’ai beaucoup de souvenirs associés à cet endroit. Windsor est une vieille ville industrielle, pas particulièrement jolie, mais qui possède un certain charme : présence de deux rivières (Saint-François et Watopeka) et d’édifices patrimoniaux, notamment l’ancienne poudrière, reconvertie en musée. Or, malheureusement, elle est la cible de promoteurs immobiliers qui ne se soucient pas de la préservation de son cachet historique, de l’harmonie entre le paysage et les constructions, ni de l’importance de mener une réflexion sur l’urbanisme souhaité pour la ville, le tout sans opposition de la municipalité. La nouvelle construction, à mon avis, est un désastre architectural. De plus, elle se situe à l’entrée même de la ville et jure dans le paysage qui l’entoure, soit une jolie vallée qui descend vers la rivière avant de remonter le long de l’artère principale. Je vis maintenant à Montréal, et même si je retourne très souvent dans ma région d’origine, où notre famille possède toujours une maison, je n’avais pas eu l’occasion d’aller à Windsor depuis plusieurs années. Il y a quelque temps, j’ai dû m’y rendre pour rencontrer l’agent de développement culturel de la MRC. J’ai d’abord ressenti un choc, puis une vive colère et une profonde tristesse devant ce qui m’apparaissait comme une ville défigurée par ce nouveau complexe immobilier. Depuis que je suis toute jeune, je suis particulièrement sensible à la protection de l’environnement et à la recherche d’harmonie entre l’humain et la nature. Ma mère militait pour la protection de l’environnement en prônant la décroissance et la récupération trente ans avant tout le monde. Lorsque j’avais neuf mois, nous sommes déménagés de Montréal à Kingsbury, dans la bucolique campagne estrienne, qui est devenue, au fil du temps, une sorte de refuge pour ma mère, un abri contre les excès du développement. Or, après la crise du verglas, en 1998, alors que j’avais 12 ans, Hydro-Québec a annoncé la construction d’une ligne à haute tension de 735 kilovolts entre les postes Hertel, en Montérégie, et Des Cantons, en Estrie, pour sécuriser le réseau de transport électrique en vue d’une éventuelle deuxième tempête de verglas. Le gouvernement de Lucien Bouchard a adopté une série de décrets pour autoriser la construction de la ligne sans tenir de consultations publiques et sans réaliser d’études d’impact sur l’environnement. Deux cents propriétaires ont été expropriés, dont 50 dans le Val Saint-François, notre région d’adoption. Le développement avait rattrapé ma mère. Mes parents se sont impliqués corps et âmes dans le mouvement citoyen qui s’est opposé au gouvernement et à Hydro-Québec, mais la ligne a été construite quand même. Leur combat a marqué ma jeunesse et depuis, la destruction de la nature et de la beauté me fait l’effet d’une blessure profonde. D’une certaine façon, cette lutte a précipité la fin de mon enfance. La colère et le désespoir ont envahi ma mère, et notre vie familiale est devenue très différente. Les années d’innocence, de bonheur paisible et d’harmonie avec la nature étaient dorénavant derrière nous. Depuis un an, j’ai rencontré différents acteurs impliqués dans le projet du nouveau complexe commercial de Windsor (élus municipaux, promoteurs, citoyens). J’ai tenté de comprendre le point de vue des gens d’affaires et des élus en accord avec le projet. J’ai comparé leurs propos avec celui de gens qui s’y opposent, notamment le groupe Héritage Val Saint-François. Au cours de mes recherches, j’ai aussi cherché à comprendre ce qui motive les gens qui s’impliquent et qui luttent, comme l’ont fait mes parents, au risque de se mettre à dos l’élite économique de leurs villes respectives. Ont-ils vécu des expériences semblables à celle de ma famille? Le résultat de cette enquête a commencé à prendre forme dans une pièce de théâtre qui emprunte certains éléments au documentaire. Mon texte fait alterner le passé et le présent et met en parallèle ces deux luttes citoyennes. Dès le début de mon processus d’écriture, je me suis beaucoup intéressée à l’histoire de ma mère (décédée d’un cancer en 2007) et à celle de ma grand-mère, originaire de Val-Brillant, dans la vallée de la Matapédia. Mon texte traite de filiation et cherche à remonter aux origines de cette révolte qui couve dans ma famille maternelle. Dans le cadre de mes recherches, j’ai été accueillie à Carleton-sur-mer pour une résidence de dix jours en septembre 2020. J’en ai profité pour sillonner la vallée de la Matapédia et apprendre à connaître cette région dont m’a beaucoup parlé ma grand-mère, aujourd’hui âgée de 95 ans. Au fil de discussions avec elle, j’ai compris qu’elle ressentait toujours une grande colère d’avoir dû abandonner ses études à la mort de ses parents, car Doria, sa soeur aînée, ayant choisi de se faire religieuse, a refusé de retarder son entrée au couvent pour s’occuper d’elle. Paradoxalement, Doria a consacré sa vie à l’éducation, enseignant aux jeunes filles dans les écoles de rang aux environs de Sainte-Anne-des-Monts, fondant plus tard la polyvalente dans cette ville. Par ailleurs, ma grande-tante Doria a terminé ses jours au couvent de Rimouski, où ma grand-mère la visitait régulièrement. Ensemble, elles fréquentaient assidûment les Jardins de Métis, qu’elles affectionnaient tout particulièrement. Y terminer l’écriture de ma pièce serait particulièrement symbolique et inspirant, et me donnerait l’occasion de poursuivre mes recherches sur mon histoire familiale, car mon arrière-grand-père était natif de Rivière-Blanche (aujourd’hui Saint-Ulric), ce qui viendrait certainement enrichir mon texte. De plus, mon projet fait une large place aux figures féminines fortes et avant-gardistes, et je pense qu’il serait intéressant de trouver une façon d’y intégrer Elsie Reford, qui constituait une source d’inspiration pour ma grand-mère. »